- LIU XIE
- LIU XIELiu Xie affirme dans le chapitre intitulé «Une critique compréhensive» que les ouvrages littéraires qui obtiennent le plus de suffrages sont aussi les plus beaux. On peut appliquer ce jugement à l’œuvre même de Liu Xie: les plus exigeants et les plus fins parmi les auteurs qui l’ont suivi font de lui l’arbitre du goût pendant la période des Six Dynasties. Quant au Si ku quan shu , le répertoire bibliographique qui fait autorité pour les ouvrages chinois anciens, il parle du Wen xin diao long comme du livre qui contient l’essence même du principe de la littérature et de la rhétorique.Il y a quelques décennies, un spécialiste chinois reprit à son compte ce jugement en considérant le Wen xin comme le meilleur traité de critique littéraire de toute l’histoire de Chine.Une vie simpleLiu Xie fait partie de la lignée des critiques littéraires chinois, très florissants à l’époque qui se situe entre la fin de la dynastie Han (220 apr. J.-C.) et l’avènement de la dynastie Tang (618). On sait peu de choses sur sa vie, relatée dans le Nan shi et l’Histoire des Liang. La date de sa mort (522) est plus certaine que celle de sa naissance (465 env.); il naquit dans une famille lettrée à Dongguan, l’actuel Lüxian, dans le Shandong. Liu Xie perdit son père alors qu’il n’était qu’enfant, puis sa mère quelques années plus tard. Il ne se maria jamais tant à cause de sa pauvreté que de son attirance pour le bouddhisme et la vie monastique. Avant d’avoir pu acquérir un poste à la Bibliothèque impériale, il occupa longtemps une place des plus modestes comme bibliothécaire dans un grand temple de la capitale. Il était lié d’amitié avec Xiao Tong, le fils de l’empereur Wu des Liang, auteur de la célèbre anthologie littéraire intitulée Wenxuan. À la fin de sa vie, il se retira à nouveau dans un monastère et cette fois se fit moine.La critique des critiquesLiu Xie fut à plusieurs reprises chargé d’éditer des s tra bouddhiques, mais sa véritable vocation est ailleurs. Elle se révèle dans son traité littéraire, le Wen xin diao long (Esprit de la littérature et Dragon ciselé ).À l’image de ses contemporains, les préoccupations de Liu Xie sont à la fois d’ordre esthétique et d’ordre moral. Doué d’une forte personnalité, on a pu croire qu’il exprimait derrière un retour à l’Antiquité des vues personnelles camouflées, comme il est arrivé si souvent à travers l’histoire de la Chine.Liu Xie se présente comme un critique des critiques littéraires qui l’ont précédé. Il reprend leurs idées, les pèse, les juge; son verdict pénétrant est sans indulgence. Ainsi Lu Ji (261-303) qui lui est pourtant proche par la pensée est traité d’esprit superficiel, attentif aux seuls détails.Liu Xie témoigne d’un esprit analytique très développé: c’est en homme libre qu’il parle des Livres canoniques, les mettant à leur juste place, les dépouillant en quelque sorte de leur caractère sacré. Non seulement il est honnête et profond, mais, témoin vivant de son époque, il réagit contre ses défauts, telle la préciosité alors en vogue.Sa personnalité double, confucianiste et bouddhiste, apporte de l’originalité à son célèbre ouvrage. Le titre même Wen xin diao long pose les problèmes conjugués du fond et de la forme. Le terme diao long (dragon ciselé) est emprunté à l’Antiquité; il avait été employé pour la première fois de manière laudative comme image exprimant le style orné d’un écrit. Dans sa préface, l’auteur s’explique aussi sur le terme Wen xin (esprit de la littérature): c’est l’esprit qui tend à se réaliser à travers toutes les formes littéraires.Le Wen xin est écrit dans le style de l’époque – une sorte de «prose balancée» – comme l’est également le Shi pin , la Critique poétique de Zhong Yong. Il est divisé en deux livres de vingt-cinq chapitres chacun; l’ordre en est assez touffu, malgré l’effort de systématisation.Le livre premier est consacré à des dissertations sur les types littéraires. Il débute par les Canoniques confucéens, qui sont évidemment considérés comme des modèles. Puis il rejette les ouvrages apocryphes qui sont «désorganisés et redondants». Les chapitres suivants sont consacrés à la poésie, celle du Shi jing , du Chu ci , le fu , les yuefu . L’auteur en arrive ensuite aux genres mineurs: prières sacrificielles, exhortations, condoléances, proclamations officielles. Il ne s’agit pas seulement d’un aperçu historique, mais souvent d’une étude philosophique, voire mystique. Le chapitre premier est bien significatif à cet égard; le wen (la littérature), objet de l’adoration de Liu Xie, tire son origine de la nature elle-même et est lié au principe primordial: dao.Dans la seconde partie de l’œuvre, il est traité du niveau d’excellence des œuvres littéraires en se fondant sur les idées qui prévalaient alors et sur d’autres aussi, neuves, originales; c’est ainsi que, parmi les divers facteurs qui agissent sur l’écrivain, Liu Xie détecte l’importance de la société et de l’histoire.L’étude de ces divers facteurs (politique, religion, enseignement reçu, coutumes, milieu géographique), empêchera la critique d’être purement subjective. Les critères à examiner ensuite sont le genre adopté en fonction des règles qui lui sont propres, l’originalité du style et du sujet, la musique de la phrase.En contradiction avec le caractère recherché et difficile de son style, Liu Xie insiste sur le naturel, la simplicité de l’expression. «Les enjolivements extérieurs, dit-il, ne peuvent qu’étouffer la spontanéité naturelle.» L’important, chez tout écrivain, est d’écrire avec sincérité, d’exprimer des sentiments vrais. Ces vues peuvent paraître banales, mais, dans la Chine de l’époque, elles reflètent une conscience exacte du défaut qui a souvent menacé les auteurs chinois, en son temps et plus encore dans les siècles postérieurs.
Encyclopédie Universelle. 2012.